Accueil > Deux stages de récupération par an pour pros : une bonne idée ?
En matière de sécurité routière, le permis à points reste un outil central de prévention et de sanction. Pourtant, certains professionnels, par la nature même de leur activité, voient leur permis mis à rude épreuve. En mars 2024, le député Pierre Morel-À-L'Huissier propose une évolution de la législation : permettre aux professionnels de la route de suivre deux stages de récupération de points par an, contre un seul actuellement. Cette idée vise à assouplir les règles pour les conducteurs les plus exposés, tout en maintenant les objectifs de sécurité publique. Où en est cette proposition aujourd'hui ? Quels enjeux soulève-t-elle ? Cet article fait le point.
Les règles actuelles de récupération de points
Depuis l'instauration du permis à points en 1992, chaque conducteur débute avec un capital de 12 points (ou 6 pour un permis probatoire). À chaque infraction, des points peuvent être retirés. Pour récupérer ces points, plusieurs options sont possibles :
- Ne commettre aucune infraction pendant une période allant de 6 mois à 3 ans selon la gravité des faits pour retrouver automatiquement tout ou partie des points perdus.
- Suivre un stage de sensibilisation à la sécurité routière, d'une durée de deux jours, permettant de récupérer jusqu'à 4 points. Ce stage est accessible volontairement une fois par an.
- En cas de solde nul, un conducteur risque l'invalidation de son permis.
Ce système, basé sur la responsabilisation et la pédagogie, vise à encourager une conduite prudente sur le long terme. Mais pour certains professionnels, notamment les chauffeurs poids lourds, livreurs, taxis ou représentants commerciaux, la fréquence élevée des déplacements multiplie mécaniquement les risques d'infractions mineures.
Une proposition de loi pour les professionnels de la route
Le 6 mars 2024, Pierre Morel-À-L'Huissier, député de la Lozère, dépose une proposition de loi visant à permettre aux professionnels de la route de suivre deux stages de récupération de points par an. L'idée : répondre aux difficultés concrètes de milliers de travailleurs dont le permis constitue l'outil de travail principal.
L'article unique du texte précise que cette possibilité serait strictement réservée aux conducteurs professionnels, sur présentation de justificatifs (attestation employeur, convention collective, ou statut d'indépendant).
Les raisons invoquées par le député Pierre Morel-À-L'Huissier
Selon Pierre Morel-À-L'Huissier, le permis à points, bien qu'efficace pour limiter les comportements dangereux, ne tient pas suffisamment compte des réalités du terrain. Dans son exposé des motifs, il insiste sur l'injustice vécue par de nombreux professionnels sanctionnés pour des infractions mineures mais fréquentes (excès de vitesse de quelques kilomètres/heure, téléphone au volant à l'arrêt, etc.).
Il rappelle que l'activité professionnelle impose souvent des cadences soutenues, parfois incompatibles avec la rigueur du code de la route. Il ne s'agit pas de nier les risques liés à la conduite, mais d'apporter une souplesse adaptée, à condition que ces conducteurs s'engagent dans une démarche de sensibilisation via les stages.
Un enjeu de sécurité mais aussi de justice sociale
Cette proposition soulève un débat fondamental : comment concilier sécurité routière et justice sociale ? Le permis à points doit-il s'appliquer de manière uniforme à tous les conducteurs, ou doit-il intégrer des critères différenciés selon les profils ?
Les syndicats de transporteurs et plusieurs associations de défense des travailleurs indépendants soutiennent cette initiative, arguant qu'elle répond à une précarisation croissante de ces professions. Perdre son permis, c'est souvent perdre son emploi. Et certains chauffeurs se retrouvent dans des situations kafkaïennes : impossibilité de prendre un second stage, suspension du permis pour des fautes mineures, et au final, exclusion professionnelle.
À l'inverse, certains acteurs de la prévention routière rappellent que la route n'est pas un lieu de compromis. Toute dérogation fragilise l'efficacité du dispositif et ouvre la porte à d'autres demandes spécifiques, au risque de brouiller le message de sécurité.
Où en est cette proposition aujourd'hui ?
Un an après son dépôt, en mai 2025, la proposition n'a pas encore été adoptée. Le texte demeure à l'état de projet législatif. Il a été enregistré à l'Assemblée nationale, mais n'a pas franchi les étapes suivantes du parcours parlementaire : examen en commission, vote en première lecture, transmission au Sénat, puis éventuelles navettes en cas de désaccords entre les deux chambres.
La situation politique actuelle n'a pas facilité les choses : la dissolution de l'Assemblée nationale intervenue en 2024 a entraîné une interruption de nombreux travaux législatifs, retardant considérablement le calendrier parlementaire. À ce jour, aucune date d'examen en commission n'est fixée, et l'avenir du texte reste incertain.
Les arguments pour et contre
Arguments en faveur :
- Adaptation aux réalités professionnelles : certains métiers imposent un usage intensif de la route.
- Prévention renforcée : deux stages impliquent deux rappels pédagogiques.
- Éviter des drames humains : perte de permis = perte de revenus pour beaucoup.
Arguments contre :
- Risque de banalisation des infractions : les professionnels pourraient compter sur les stages pour compenser des fautes.
- Complexité administrative accrue : comment contrôler l'éligibilité réelle à deux stages ?
- Inégalité devant la loi : pourquoi certains conducteurs auraient plus de droits que d'autres ?
Conclusion
La proposition de permettre deux stages de récupération de points par an pour les professionnels de la route soulève une question essentielle : peut-on faire évoluer le droit commun du permis à points sans le fragiliser ? Si cette mesure vise à protéger des travailleurs essentiels, elle doit s'accompagner d'un encadrement rigoureux pour éviter les effets pervers. À ce jour, le débat est suspendu dans les travées parlementaires, mais il reste vivant sur le terrain, où des milliers de professionnels espèrent une évolution pragmatique de la loi.
En attendant, la vigilance reste de mise : chaque point perdu est un rappel à la prudence, quel que soit le métier exercé.
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